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LIBRAIRIE MOTS ET CIE

Quand nous serons heureux

30 Janvier 2010 , Rédigé par LE LIBRAIRE Publié dans #LES VALEURS SÛRES

                       QUAND NOUS SERONS HEUREUX

      coeur-fixe-copie-1.jpg                                                 Caroles Fives

                                                                 (Le Passage)


quand nous serons heureuxUne trentaine de nouvelles qui appuient là où ça fait mal. Un regard corrosif et humoristique sur la société et sur ses failles.

 

Un recueil de nouvelles est forcément un mélange mais une thématique sous-tend la vingtaine de récits qui composent ce livre, c’est le mal-être causé par la vie dont on rêvait et celle que l’on a en réalité. Les personnages sont tous au bord du gouffre , de l’addict à la chirurgie esthétique qui comprend finalement que ses opérations de chirurgie plastique n’ont pas réglé ses problèmes, au névrosé de l’agenda, qui à force de ratures sur son agenda se rend compte que c’est son existence qu’il annule jour après jour, en passant par la victime de viol qui,dans le déni total, relate son agression comme s’il s’agissait d’une histoire d’amour,ou l’obsessionnelle de David Bowie, la caissière suicidaire, le photographe un peu pervers…Chaque personnage est prisonnier de sa propre névrose.

 

Avis du libraire : Chaque lecteur, homme ou femme, y trouvera son double à un moment ou à un autre… nul n’est parfait !! Mon coup de cœur du moment

Prix Technikart 2010


EXTRAIT

Mammoplastie

Grâce à mes trois mammoplasties, mes seins sont parfaits. À la première, je n’étais pas satisfaite, ils étaient toujours trop petits. J’ai dit : « Rajoutez-m’en, j’en veux pour mon argent. »

À la seconde, il y en avait trop, hors de question de ressembler à une bimbo. Refaite, oui, mais parfaite, c’est pourquoi j’ai insisté pour une troisième intervention, qui m’a donné satisfaction.

Je ne vais pas vous détailler mes différentes liposuccions, ce serait long et peu ragoûtant, sachez simplement que j’en ai subi partout où nécessaire : taille, ventre, hanches, cuisses (intérieur et extérieur), chevilles, genoux, bras… J’ai

maintenant un corps mince et ferme, en tous points semblable à ceux des filles dont on nous rebat les pupilles à longueur de publicités. Pouvais-je rester avec un corps parfait et mon visage de Picasso ? L’équilibre s’imposait et un certain nombre de gestes opératoires ont encore été nécessaires pour prétendre à la même perfection que le reste : une série de rhinoplasties bien sûr (là aussi, il semble que le coup d’essai soit rarement un coup de maître et que la méthode procède plus empiriquement par tentatives et erreurs rectifiées). Suivirent un agrandissement du regard par incision des paupières, rabotage des mâchoires, menton pour le même prix, implants de prothèses dans les pommettes, les lèvres puis le front. Par bonheur, la couleur de mes yeux était supportable, je me voyais mal subir à vie le port de lentilles colorées. Mon souhait était que le résultat soit du plus naturel, la quintessence de l’art n’est-elle pas de se faire oublier ?

Je dois admettre que le résultat est quasi parfait. J’ai fait appel aux meilleurs spécialistes et critiquer leur ouvrage serait calomnieux. J’ai exactement le corps dont je rêvais.

Mais on ne rabote pas aussi facilement les souvenirs qu’un nez disgracieux. Le bistouri du chirurgien n’a rien pu faire pour ma mémoire. J’ai été une enfant moche, une adolescente ingrate, avant de devenir enfin une jeune femme repoussante, cela laisse des traces. Chaque matin, je reste éblouie devant cette merveille qu’est mon corps et pourtant, je ne me reconnais pas. Je ne parviens pas à m’identifier à cette sublime carcasse. Je cherche des yeux la petite fille laide, le corps triste et difforme qui fut le mien et il me semble toujours le voir pointer derrière mes membres parfaits.

Les oeillades insistantes sont toujours un saisissement, et je peine dans un premier temps à croire qu’elles me sont destinées. Je cherche autour de moi, y a-t-il une autre femme, une quelconque attraction susceptible de provoquer ainsi

leur curiosité ? Alors je me souviens. Ce n’est pas moi qu’ils reluquent mais mes implants, mes faux seins, mes fausses lèvres, ma silhouette équarrie. Leurs regards tournent autour de moi et restent à la périphérie, ils ne me réchauffent pas, ne m’atteignent pas, ne s’adressent tout simplement pas à moi. Ce n’est pas moi qu’ils admirent mais les prouesses du chirurgien. On n’efface pas par magie vingt-cinq ans dans la peau d’une laide. Leurs oeillades me brusquent, me désorientent. Je suis comme ces bêtes apeurées prises dans les phares d’une voiture, j’étais habituée à l’ombre et la lumière me terrorise. C’est insensé comme la laideur vous rend transparente, inexistante aux yeux du monde, pas seulement des hommes mais de tous. Simplement, elle n’est pas digne d’intérêt, elle n’accroche pas l’oeil qui cherche plus loin un sujet plus harmonieux dont se repaître. Ma condition inédite de femme belle m’a mise brusquement dans une position à laquelle rien ne m’avait préparée. Je devenais visible, j’existais enfin. Et ces regards qui auraient dû me sauver, sont devenus insoutenables, clairement ils me tuent. Ils me tuent parce qu’ils ne m’apportent pas le bonheur escompté, si chèrement payé. Ils me tuent parce qu’ils n’effaceront jamais le doux sobriquet

que m’avaient donné mes camarades de classe : « la chose ». Ils n’effaceront pas non plus les regards croisés de mes parents sur moi, tantôt dégoûtés, tantôt embarrassés. Aucune caresse d’aucun homme sur mon corps remodelé ne saura me consoler des étreintes dont ma disgrâce m’a tenue écartée tant d’années, aucune ne pourra apaiser mon corps affolé. Ma laideur me protégeait, me tenait loin de tout espoir d’amour et de tendresse, mon nouveau corps a réveillé tous ces désirs en moi sans m’en donner les clés. Mon apparence m’expose et me met en danger, je voudrais rester chez moi, tapie, tel le monstre que j’ai toujours été.

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